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Thaïlande, Cambodge

17 septembre 2024


C’était en juin. Depuis, la Thaïlande et le Cambodge ont glissé sans bruit vers les tiroirs de ma mémoire. Déjà ils prennent du flou, eux qui hier encore étaient si vifs. Drôle de chose que le temps, l’espace-temps et la mémoire. Cette mémoire qui nous façonne, qui nous donne une identité. Je le vois bien chez mes élèves atteints d’Alzheimer, à mesure que leur mémoire s’effiloche, ils deviennent une autre personne. Notre individualité n’est autre que du temps, de l’espace et de la mémoire. Enlevez cela et il reste la vie, la neutralité de la vie, l’absence de dualité, de séparation.


En attendant de redevenir vaste comme avant la naissance, je voyage. Une autre façon d’appréhender l’espace-temps et de se forger une mémoire plus universelle, à la rencontre de l’Autre. L’observer, risquer de l’accueillir et de s’ouvrir à lui dans toutes ses différences, sans forcément les partager mais en essayant de comprendre sa façon de transiger avec la vie, sans juger. C’est parfois très difficile mais l’avantage est majeur. Porter intérêt à l’Autre c’est se détourner un instant de son propre nombril. Cela a pour effet de pacifier l’ego. Les egos paisibles ne créent plus de souffrance. La guérison de nos souffrances, c’est l’Autre. Si le voyage est un de mes essentiels, c’est parce que cet Autre-là me rend meilleure.

Première immersion en Asie. Bangkok. La claque ! Dès l’aéroport Suvarnabhumi, la modernité. Elle côtoie les mines grimaçantes des Yakshas aux yeux écarquillés (statues traditionnelles, géantes et colorées, aux expressions féroces pour éloigner les esprits malveillants, gardiennes mythiques et protectrices). C’est ça Bangkok : Le passé qui étreint le futur.


Dans des machines qui distribuent les tickets de taxis nous entrons l’adresse de l’hôtel. Le prix est calculé, nous payons. Le ticket sort avec le numéro du taxi, son emplacement, la photo et le nom du chauffeur qui vient du même coup d’être prévenu et déjà nous fait signe quelques mètres plus loin en ouvrant le coffre. Le tout a pris moins de trois minutes. Quelle que soit la circulation, que cela prenne 15 minutes ou 2 heures, la course est payée d’avance, il n’y aura pas de surprise, pas de pourboire à ajouter, nous n’avons plus qu’à profiter du paysage. Bienvenue en enfer !


J’ai connu les flux circulatoires rageurs et klaxonnant de la place de l’étoile à Paris, la fébrilité de Rome, le grand n’importe quoi de la Sicile, décuplé à Aman en Jordanie, j’ai conduit à New-York à l’heure de pointe… De la rigolade à côté de Bangkok. « Loue des scooters ou des vélos dans les petites villes tranquilles et les villages mais ailleurs, oublie la voiture ». « Il y a des taxis partout, des tuk-tuks, des motos-taxis, le métro, des bateaux, des mini-vans, de très bons bus entre les villes, des trains, des avions intérieurs, c’est facile de se déplacer en transports en communs, ne loue pas de voiture, trop dangereux ». « Si tu veux vraiment une voiture, prends un chauffeur du pays ». « La plupart des agences de location de voitures n’offrent pas d’assurance, tu devras prendre ta propre assurance. Que Bouddha soit avec toi ! ». Forts de ces conseils, nous avons pour la première fois décidé de ne pas louer de voiture. J’en discute dans l’avion avec un jeune-homme français assis à côté de moi. Depuis quatre ans il fait ses études tour à tour au Cambodge, au Laos et en Thaïlande. Il confirme. Le mois dernier il a assisté à cinq accidents, dont deux mortels. Il suffira ensuite de cinq minutes de taxi pour nous prouver que nous avons fait le bon choix. Devant-derrière, côte-à-côte, parallèles, perpendiculaires ou à l’oblique, des voitures partout, touche-à-touche. Ça louvoie, se faufile, s’insinue au millimètre, se coule, se glisse, pénètre à touche tôle, tout cela en silence, sans klaxon ou geste de colère. Impressionnant.


Le parc automobile est plus moderne que le nôtre, avec des modèles qui n’existent pas chez nous, notamment de luxueuses voitures électriques chinoises. Pas une seule vieille voiture. Le taxi fait 1 mètre, puis il freine, 1 mètre, puis il freine, 1 mètre, puis il freine. C’est comme ça qu’on entre et progresse dans ce magma de tôles. Je ne tarde pas à avoir le cœur entre les dents. Il n’y a sans doute guère qu’en Inde que la circulation est pire. Évidemment, un tel flux circulatoire ne va pas sans pollution. Ça vous prend à la gorge. Bangkok apparaît de prime abord comme irrespirable, d’autant qu’il fait une chaleur collante qui vous trempe dès la sortie de l’aéroport. Il nous faudra plus d’une heure pour faire 35 kilomètres. Ça donne le temps de faire connaissance avec la ville.


Tours ultra-modernes, centres commerciaux érigés jusqu’au ciel, quartiers de jolies maisons traditionnelles surélevées ou de petits immeubles en béton moches et aux balcons surchargés de chaudrons, machines à laver, outils, linge qui n’en finit pas de sécher, humidité oblige. Bidons-villes le long des rails de trains et sous les ponts. La misère archaïque grouille à l’ombre des futurs maîtres du monde. Marchés grands comme des villages qui vomissent des montagnes de nourriture et de produits exceptionnellement frais (on mange merveilleusement en Thaïlande). Des immenses traversantes et boucles routières sans nids de poule passent au-dessus des toits et serpentent entre les buildings. Mégapole.


Notre hôtel n’est pas dans la Bangkok moderne. Il est le long de la Chao Phraya, fleuve-poumon de la ville. Les bateaux qui y circulent nous déposeront d’un temple à l’autre, dans des quartiers tranquilles où la voiture est rare, l’air respirable et la vie paisible le long des klongs (canaux, voies d'eau), que l’on arpente à pied. Palais Royal, marché aux fleurs, quartier chinois, Khaosan Road… Wat Phra Kaew (temple du Bouddha d’émeraude), Wat Arun (temple de l’aube), Wat Pho (temple du Bouddha couché), où il faut se faire masser par les élèves de la plus réputée école de massage de Thaïlande. Le vrai massage thaïlandais est une forme ancienne de thérapie corporelle influencée par la médecine traditionnelle indienne (Ayurveda), la médecine chinoise et le bouddhisme. Pressions, étirements, mobilisations articulaires et manipulations énergétiques, c’est une expérience thérapeutique globale. Son but est d’harmoniser le corps, l’esprit et l’énergie vitale. Les manipulations sont vigoureuses. Prudent, mon chéri choisit le massage des pieds. Moi la totale : LE massage traditionnel. Dans une salle sombre, sur des plateformes de bois près du sol, de grands matelas accueillent déjà des gens en train de se faire manipuler. Je m’allonge sur celui qu’on me désigne. Il faut porter des vêtements souples et confortables car on reste habillé.


Pendant une demi-heure, j’ai couiné de douleur avec le sentiment de passer sous un rouleau compresseur. Sentant tout l’amour avec lequel ma masseuse me faisait mal, je lui abandonnais tout mon être avec une confiance totale. Elle a fini à genoux sur mon dos puis, cerise sur le gâteau, a fait faire à ma colonne thoracique une torsion tellement intense et vigoureuse que j’ai eu l’impression d’être une chouette tournant à 380 degrés. J’ai cru casser. Les jours suivants, j’avais un corps neuf. Habituée à la souffrance au quotidien à cause d’un problème de dos congénital, la totalité de mon être était en paix. J’ai fait un second massage à Sukhôtai dans un centre reconnu (attention aux massages offerts partout dans la rue ou dans les quartiers touristiques, il y a de tout et n’importe quoi). Les effets bénéfiques de ces deux massages perdurent encore aujourd’hui, presque trois mois plus tard. Ma circulation sanguine a changé, j’ai retrouvé les jambes de mes vingt ans.


Après Bangkok, incursion au Cambodge. Siem Reap. Le contraste entre les deux pays est marquant. Les Cambodgiens sont tout aussi chaleureux, humbles et désireux de rendre service que les Thaïlandais, mais on sent un mécontentement latent et une frustration silencieuse contre leurs institutions. La Chine est le principal partenaire économique et politique du Cambodge (Angkor Wat fourmille de touristes chinois), mais durant la covid, tout s’est arrêté et la situation économique s’est effondrée. Le Cambodge se relève beaucoup plus difficilement que la Thaïlande.


Le site historique d’Angkor est gigantesque, nous prenons un guide et son tuk-tuk pour quatre jours. Le courant passe, nous échangeons beaucoup et il nous accompagnera, bien au-delà de son travail de guide, dans la découverte de son pays. Ça sera une expérience humaine touchante et triste car nous avons beau être sur l’un des plus importants sites touristiques au monde, le petit peuple cambodgien a bien du mal à vivre.


Angkor Wat, Bayon, Ta Prohm, Banteay Srei, Banteay Kdei, Angkor Thom, Preah Khan, Baphuon, Pre Rup… Nous explorerons une quinzaine de temples et de sites, dont de véritables paradis où les touristes ne vont pas. Notre guide nous explique l’histoire de chaque site, ce qu’il y a à y voir, puis nous laisse découvrir à notre rythme pendant qu’il prend la route pour nous attendre à l’autre bout. Nous sommes donc seuls au monde, au cœur de la jungle, à nous enivrer de nature et de vestiges mystérieux. Nous nous prenons pour Indiana Jones et Lara Croft. Le temps ici est immuable, seulement marqué par la croissance des arbres gigantesques, dégoulinants sur les façades de pierres vermoulues. Rideaux de racines tentaculaires. Qu’il est facile à la nature d’engloutir nos constructions humaines. Nous ne jouons pas sur la même échelle de temps. Cette nature en liberté nous confronte à notre petitesse et à notre finitude. Elle force l’humilité, nous devrions lui rendre un culte plutôt que la détruire. Contre elle nous perdrons. Avec elle nous grandirons.


Je questionne énormément. Cette marque d’intérêt touche notre guide qui se confie. Comme en Jordanie ou en Colombie, les différences entre nos réalités sont surréalistes. Voyager, c’est aussi prendre comme un poignard dans le cœur la chance que nous avons et que d’autres n’ont pas. Ça fait mal. Une douleur qui aide à relativiser nos propres vies, à développer le contentement, la gratitude, une humanité plus lucide et une conscience plus vaste de la condition humaine. Je me sens démunie et ça aussi ça fait mal. Je constate qu’écouter c’est important. Ça donne à l’Autre le droit à la parole. Écouter c’est reconnaître notre humanité en l’Autre, quelles que soient nos réalités respectives. Écouter c’est la moindre des choses quand la parole demande parfois tant de courage.


Écouter a fait évoluer notre relation. Notre guide nous fait maintenant découvrir des lieux plus « personnels ». Rivière traversant une jungle luxuriante ou seul résonne le cri des singes. Lacs couverts de nénuphars. Mini-temple bijou dans un écrin de douceur. Sommet plongeant sur un village modeste mais pimpant, entouré de rizières ou les ouvriers travaillent au son de chants traditionnels diffusés par des hauts parleurs dans toute la vallée. Le Bouddha y serait passé, il reste là-haut une des nombreuses empreintes de pied qu’il aurait laissé à travers le pays. Nous sommes les seuls blancs, c’est une drôle de sensation. J’aime bien être l’Autre, l’étrangère.


Retour à Bangkok. Fabuleuses capacités d’adaptation, nous voilà déjà habitués à la fourmilière.


Départ pour Sukhôtai, classée au patrimoine mondial de l'UNESCO. J’ai pris un logement dans la ville moderne car dans la ville historique il n’y a que des resorts et nous fuyons ce genre d’endroits dénaturés par le tourisme. J’ai choisi pour en faire l’expérience une maisonnette traditionnelle en bois. Le lieu est charmant mais malheureusement bruyant car les tuk-tuks passent à fond les ballons dans la ruelle le long du mur. De plus la ville moderne est laide et sans intérêt. Nous décidons donc de déménager le lendemain pour la ville historique. Le soir cependant nous dinons chez notre logeuse car elle est réputée en cuisine. C’est le meilleur curry que j’ai mangé de ma vie !


C’est la saison creuse, mousson oblige. Le resort sur lequel nous nous sommes rabattus est désert, excepté un groupe de six teutons. Notre bungalow est environné d’une nature sublimissime. J’avoue, c’est super. Après en pleine saison, envahi de touristes, pour nous c’est l’équivalent de l’enfer. Chacun sa façon de voyager.


Nous faisons tout à vélo. Baguenauder paresseusement d’un temple à l’autre, toujours seuls au monde, sous les regards doux, bienveillants ou taquins des Bouddhas de pierres. Découvrir ceux qui gigantesques, jouent à cache-cache entre les murs et que de jeunes moines viennent toucher en riant, avec une joie respectueuse et légère. Tout est paisible et doux. Il semble qu’on puisse vivre ici jusqu’à l’éternité.


Dans ces temples de l’humilité, je dois faire, bien malgré-moi, mon propre portrait, car à plus de 12 heures d’avion, là-bas à Paris, une de mes éditrices m’a demandé une nouvelle photo pour ma bio. Ça ne peut pas attendre car mon prochain livre doit partir à l’impression avant mon retour. Alors voilà, à l’ombre des Bouddhas réalisés, il me faut prendre en photo mon petit ego. La vie n’est-elle pas joueuse ?


Le soir nous allons manger au marché de nuit ou dans un petit restaurant tenu par un monsieur sans âge, souriant et bienveillant. La nourriture suit les principes bouddhistes. Belle, propre, saine, parfumée et de toute première fraicheur car rien ne doit jamais être préparé à l’avance. Partout il y a des marchés extraordinaires. Je crois que la fraicheur et la qualité de la nourriture est encore plus importante pour les Thaïlandais que pour les Français. Notre exigence française en matière de gastronomie et d’expérience gustative est comblée au-delà de nos attentes. Le seul bémol c’est les piments. Certes, on s’habitue, mais parfois ils nous brûlent jusqu’au cerveau. On a beau demander « not spicy », nous n’avons définitivement pas la même conception de ce qui est épicé ou non. À Bangkok pour les touristes, tout ce qui pique et chauffe est mis à part sur la table, comme des condiments, mais dès qu’on sort des circuits touristiques, ça brûle, que dis-je, ça arrache !


Ici comme ailleurs la malbouffe gagne, surtout dans les villes. Panures, fritures, glaces, smoothies et boissons trop sucrées ont du succès auprès des jeunes dont le tour de taille s’arrondit.


Pour digérer, nous nous promenons parmi les villageois sur la rue principale. Elle borde un lac rectangulaire, au centre duquel une île accueille un temple qui se reflète au coucher du soleil dans les eaux miroir. Ici nous touchons à la grâce. Elle nous laissera un bonheur durable. Des souvenirs à revisiter si la maladie nous cloue au lit ou quand la vieillesse mettra un terme à nos pérégrinations.


À Ayutthaya, le ciel nous tombe sur la tête en sortant du 7-Eleven (supérettes incontournables en Asie et ailleurs pour se ravitailler en eau et autres produits et services de première nécessité). Malgré le début de la mousson, ce sera nos seules dix minutes de déluge. La pluie torrentielle s’arrête aussi brutalement qu’elle a commencé. Ça me rappelle le fabuleux orage qui nous avait surpris en 2008 sur les hauts plateaux de l’ouest américain. En moins de deux minutes nous avions de l’eau aux chevilles, puis mi-mollets. Le ciel se vidait littéralement, comme un seau d’eau. La foudre était tombée devant nous, mettant le feu à la forêt. Et là, comme généré par l’éclair, un escadron de rangers était apparu. Au milieu de ces vastes étendues désertes, nous avions vu pour la première fois ce qu’était l’efficacité américaine.


Après une journée à pédaler encore entre les innombrables Bouddhas, nous longeons la rivière qui nous ramène à notre bungalow, chez un vieil Allemand qui après avoir passé une vie avec sa femme Thaïlandaise en Allemagne, coule une retraite heureuse sous le soleil d’ici. La route est très étroite et les voitures fusent et se croisent à un rythme soutenu et dangereux. Je me décale sur le bord de l’eau, c’est plus sécuritaire et ça me permet de profiter de la superbe balade avec plus d’insouciance, sourire aux oreilles… quand soudain, une tête apparait entre les nénuphars. Elle est tellement grosse que mon estomac fait une chute vertigineuse dans mes talons tandis que mes cheveux se dressent littéralement sur ma tête avec l’influx d’adrénaline. Est-ce qu’il y a des anacondas en Thaïlande ? Oubliés le sourire et l’insouciance ! À quelques coups de queue qui le font glisser avec une rapidité inquiétante à la surface de l’eau, nous identifions un varan… géant. Hiii là là ! Fini de longer le bord de l’eau, je reviens dare-dare sur la route. Je préfère me faire écraser par une voiture que gober crue par c’te bestiole !


Après ce retour à la réalité de la faune d’ici, nous nous laissons surprendre par la nuit qui tombe bien plus vite que chez nous. Pas question de retourner à vélo vers le centre-ville à la noirceur. Circulation trop dangereuse. Nous nous arrêtons donc manger dans un bouiboui de quartier qui fait office de pâtisserie mais offre aussi deux ou trois plats salés. Ses trois tables n’ont jamais dû voir autres convives que les voisins. Ici les touristes ne restent pas, ils visitent les temples en quelques heures puis repartent sans rien voir du village. Les tenanciers de la gargote sont tellement surpris et heureux de nous accueillir qu’ils nous prennent en photo. Nous sommes sans doute maintenant les deux seuls touristes blancs affichés sur la page Internet de leur site pour en faire la promotion ! Nous avions envie d’un Pad Thai mais la feuille plastifiée qui fait office de menu n’offre que du riz et des œufs ou une sorte de ragoût de légumes très appétissant mais qui, à n’en pas douter, va nous arracher les boyaux. J’ai regardé à l’arrière du menu mais la page est blanche. Le geste n’a pas échappé à notre hôte. Il nous demande ce qu’on voudrait manger. Il peut tout nous faire. Pad Thaï ? Aussitôt il s’active. Sa femme qui était devant la télé est réquisitionnée. Elle sort avec empressement les chaudrons et woks en aluminium qui, à cette heure, n’attendaient plus personne. Ici on nourrit sans doute quelques habitués du quartier à midi, mais pas le soir. Ils sont goguenards. Nourrir deux blancs becs au lieu de profiter de la douceur du soir entre les quatre planches de leur très très modeste cabane semble les réjouir. Je ne sais pas comment ils ont fait mais ils ont trouvé les crevettes, les légumes, les pâtes et tout ce qui est nécessaire à la confection d’un Pad Thai succulent avec des produits de première fraicheur. Ils auraient pu majorer leurs prix, ce qui serait bien normal vu l’heure, la demande spéciale et la couleur de peau de leurs convives. Et non ! Ça n’est pas dans la mentalité thaïlandaise. Chaque plat coûtait à peine plus qu’un euro. Maintes fois nous avons ainsi été touchés par l’honnêteté de ce peuple.


Bangkok à nouveau. La ville doucement se distille en nous. Cette mégapole contrastée où se mêlent Moyen-Âge et ultra modernité a un charme puissant qu’on ne voit pas au premier abord. Malgré ses 14 millions d’habitants et le fourmillement de la ville moderne, Bangkok est plus silencieuse que Montréal (4 millions d’habitants) ou Paris (11 millions). Ça tient je crois à la délicatesse et au tact des Thaïlandais, à leur façon d’être mesurés. Doux, courtois et respectueux ils valorisent l’harmonie, la considération pour les autres, « kreng jai », et le calme du cœur « jai yen yen ». Ils ont une sincère gentillesse, sont serviables et chaleureux. Humbles et modestes et généreux, d’abord de ce sourire qui fait leur réputation, non usurpée. C’est un élément clé de leur communication non verbale, il n’est donc pas factice. De nature accueillante, le sourire appuie leur ouverture à l’autre. Il sert aussi à désamorcer les tensions ou à exprimer la gêne.


Une grande importance est accordée au « sā·nùk » : Plaisir et convivialité en toutes situations. Les relations sociales sont donc souvent légères, joviales, et les conflits ou situations embarrassantes sont évitées au maximum. Ils cultivent aussi le « sabai sabai » («tranquille, cool»), qui est une approche de la vie axée sur la détente et l'évitement du stress.


Comme nous, ils sont aussi collés à leurs écrans, mais l’importance de la communauté et des relations sociales perdurent pourtant car cela reste pour eux deux facteurs clé du bonheur.

Habitués à nos sociétés nord-américaines individualistes, la rencontre avec ce peuple nous ébranle. Nos façons d’être et d’interagir paraissent en contraste grossières, lourdes et tristement égocentrées.


Les Thaïlandais semblent incarner leurs croyances spirituelles : Compassion, patience, contentement, acceptation, paix intérieure, modestie et résilience. Leur culture valorise aussi la discrétion dans l'expression des émotions négatives (pour ne pas déranger les autres avec ses soucis), ce qui peut évidemment masquer des problèmes sous-jacents. Il faudrait les côtoyer plus longtemps pour savoir s’ils sont véritablement aussi paisibles et dans le contentement qu’il y paraît. Vu de l’extérieur, ce qu’ils renvoient semble vraiment naturel. Nous sommes tombés amoureux de ce peuple. Jamais nous n’avions rencontré autant de véritable gentillesse et de modestie. Une grande leçon de vie.


La Thailande est vaste, nous n’en avons vu qu’une infime partie. Nous reviendrons Bangkok, nous frotter à ta modernité qui me donne l’impression étrange et un peu désagréable de venir d’un monde arriéré. New-York que j'aime toujours passionnément, et qui représentait la modernité de mes vingt ans, m’apparaît pourtant depuis toi petite et périmée.

Un basculement est en train de s’opérer entre l’Occident et l’Asie. L’Occident est un vieux monde essoufflé en passe d’être dépassé. Il y a ici une fabuleuse énergie. C’est sur cette partie de la planète que l’avenir aujourd’hui est en train de s’écrire. Saurons-nous suivre ?

- ©Claire Armange


©photosClaireArmange
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